mardi 21 mars 2006

AG 2006 - « Sections de l’ACAM » selon Jean-Louis

Histoire et Patrimoine

Il m’arrive de penser parfois à ce biface, pierre grossièrement taillée, qui a attendu plusieurs dizaines de milliers d’années pour passer d’une main à une autre. D’abord celle de son concepteur : grosse main velue aux doigts crochus ; son propriétaire avait le front plat, les arcades proéminentes, un museau néanderthalien  et le menton fuyant et émettant des grognements qui n’étaient que des ersatz de parole.
Il est vraisemblable que, c’est en chassant les escargots, son met favori, à quatre pattes au bord du terrier qu’il fut copieusement piétiné par un troupeau de mammouths. Seul subsistera le biface qui passera ainsi plusieurs siècles à coté d’une sorte de descente de lit aux formes humaines, avant que cette dernière ne soit dissoute par l’acidité du sol.
Cinq cents vingt et un siècles plus tard, ce biface se retrouve dans la main gracile d’Isabelle, illustration parfaite du darwinisme, fille spirituelle d’Yves Coppens. 50 000 ans qu’elle a attendu cette pauvre pierre entre l’ancêtre qui contemplait les rhinocéros à poils laineux  s’envoyant en l’air dans la rosée du matin et notre Isabelle à nous qui nous enverrait tous en l’air à notre tour avec une bombe atomique.

L’espagnol


A l’époque des croisades, il était rare que l’on prenne soin avant de partir d’apprendre la langue des différents pays traversés. Les outils de communication les plus courants étaient la massue ou l’huile bouillante, ce qui avouons-le, ne rapprochait pas les peuples.
Le brave Saint-Louis aurait aimé parler tunisien lors de sa dernière croisade. Ne pouvant expliquer au médecin local le mal dont il soufrait, il expira loin de son royaume. On fit appel à d’étranges praticien car on voulait ramener intacte la dépouille du souverain. Sachant que seule la chair cuite ne se putréfie pas, on fit donc cuire notre roi dans une marmite accompagnée d’herbes et de plantes censées assurer la conservation de Louis IX. C’est donc, sous forme d’un pot au feu géant que débarqua triomphalement, en 1270, à Aigues mortes, ce brave capétien.
Pour éviter que de telles aventures ne se reproduisent, de nos jours, les futurs voyageurs apprennent la langue de leurs destinations.
Nos croisades à nous se limitent à Pamplona ou à Sevilla, mais aussi Cuba ou l’Amérique du Sud et, pour les plus modestes, à Ibardin. Cervantes a encore beaucoup de clients, de ce coté ci des Pyrénées. Mais, méfiez-vous, si les espagnols n’excellent pas dans l’art du pot au feu, sachez, tout de même, qu’en tranchant un jambon serrano, un socio du cercle taurin de Montois a découvert une prothèse de hanche.



La chorale

L’histoire se passe dans le Paris de l’après guerre, dans le milieu du music-hall. C’est l’histoire d’un homme qui avait en charge une troupe de cabaret ou plutôt une revue. Cet homme savait tout faire ou presque : réparer les costumes, les repasser, faire des décors, s’occuper des éclairages. Il savait même cuisiner. Par souci d’économie, il élevait lui-même, dans son jardin trois belles autruches auxquelles il prélevait de temps en temps une plume de leur croupe pour la mettre sur celle d’une danseuse qui la perdrait prés d’un spectateur avide de souvenirs. Comme toute revue digne de ce nom, celle-ci se devait d’avoir une meneuse. Notre meneuse à nous fut, en son temps, une immense star. Elle avait illuminée les plus grandes salles du monde : Paris, Las Vegas, New-York. Elle avait connu les plus grands : Franck Sinatra, Dean Martin, Patrick Topaloff. On la voyait aux courses à Cagnes en compagnie de Charles Trenet. On l’entendait souvent chanter dans sa loge : « je t’attendrai à la porte du garage » (en hommage de son mari qui s’appelait André). Et, comme toutes les stars, elle avait ses caprices. Mais, les siens avaient une étrange particularité : à la moindre contrariété, elle s’arrêtait de respirer, situation qui mettait son entourage dans l’embarras et surtout dans l’urgence. Parfois, elle exagérait. Alors qu’elle dînait avec Charles Aznavour, pour une Saint Sylvestre, elle trouvât le prétexte d’avoir été mordue par une huître, pour, illico, s’arrêter de respirer. Imaginez, notre homme affolé, chercher à tout prix une solution ; il descendit à son atelier sachant que le temps jouait contre lui ; puis, une idée de génie lui vint ; il alla à son jardin où picoraient paisiblement les trois autruches ; il arracha à la hâte une plume au croupion de l’une d’entre elles et remonta en vitesse auprès de notre capricieuse qui devenait pourpre et, tel un eunuque à un maharadja, il aérait la star qui aussitôt reprit sa respiration. Elle avait surtout compris qu’à la moindre alerte, les gens se mettaient en quatre pour ses beaux yeux et elle multiplia ses caprices. Notre homme commençait à trouver la situation alarmante. Un soir, dans un bar de la rue Montmartre, il se confia à un ami américain qu’on appelait l’indien, un jeune chanteur totalement inconnu à l’époque qui se faisait appelé Joe Dassin : « Si elle continue comme ça, je crois que je vais l’envoyer siffler sur la colline ou aux champs Elysée. Parfois elle est tout juste bonne à vendre des petits pains au chocolat. Ah ! Vivement l’été, Indien. Vous avez de la chance. OK, tu sais, l’Amérique est un rêve ». Mais rien n’y faisait, la star était de plus en plus pénible. La cerise sur le gâteau arriva ou plutôt, la citrouille sur le baba au rhum. Peu avant un spectacle latino, elle ne voulut pas entendre parler d’une affiche, d’une troupe de travelos brésiliens et encore moins d’un jeune présentateur débutant à l’ORTF du nom de Guy Lux : elle préférait Jean Nohain. Que fit elle me direz-vous ? Elle retint sa respiration. Mais notre homme à l’image de Jésus qui même sur la croix ne baissa pas les bras, pour la énième fois, partit dare-dare vers son jardin et … tomba pétrifié d’horreur devant les croupions de ses autruches chauves comme des lavabos. Ce fut l’affolement général. Il mit son atelier sens dessus dessous mais le temps pressait et, au bout des longues minutes, il trouva une vieille balayette, elle aussi déplumée. Mais quand il arriva au chevet de la belle, il était trop tard l’étoile s’était éteinte. Notre homme chercha et trouva un maître de cérémonie et le spectacle continua. Il existe toujours. D’ailleurs si vous avez la chance de monter à Paris, allez voir le spectacle des nuits parisiennes : c’est un véritable Enchant’Mant.

Les sévillanes


Puisque nous sommes dans le milieu de la danse, restons-y.
C’est connu de tout le monde ici à Mant, les caves et les sous-sols de la salle des fêtes sont depuis toujours colonisés par des familles entières de loirs. Ces tout petits mammifères,  mi-souris, mi-écureuils, dès le printemps, partaient à la recherche de baies et autres noisettes, histoire de faire des réserves avant les premiers frimas car, et c’est bien connu, dès l’automne, le loir se love douillettement dans son nid et dort d’un profond sommeil jusqu’au chant du coucou. Oui mais voilà ! Depuis trois ans, leur sommeil est régulièrement troublé par un fracas qu’ils ne connaissaient pas jusqu’ici. Il se passe d’étranges choses au dessus ; tous les vendredis soirs, des créatures toutes de noir vêtues, aussi belles les unes que les autres, tournent sur elles-mêmes dessinant des courbes serpentiformes avec leurs bras et ponctuent leurs mouvements de coups de talons rageurs qui font trembler l’édifice. A tel point que le sismographe d’Arête enregistre tous les vendredis soirs des secousses pouvant atteindre 3,7 sur l’échelle de Richter. Il n’en fallait pas plus à nos braves rongeurs qui, un à un, un bâton sur l’épaule avec un balluchon, ont quitté leur logis désormais inhabitable pour un havre plus silencieux ; je les ai trouvé (et là c’est vrai) dans la palombière que je fréquente là où  aucune détonation ne vient déranger leur quiétude. Chut ! Ils dorment …